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La sélection sociale en filière PluriPASS : étude ethnographique

Dans le cadre de mon cours d’Introduction à la sociologie dispensé à Campus Tech lors de ma première année, dirigé par Thierry Deshayes, j’ai réalisé une étude ethnographique portant sur la sélection sociale en filière PluriPASS.

La filière PluriPASS sujette à une forme de sélection sociale ?

L’éducation telle qu’on la connaît est souvent accusée de sélectionner socialement les élèves. En clair, ceux qui vont recevoir la meilleure éducation et les meilleurs enseignements sont ceux dont les parents sont les plus aisés. On le voit avec les manifestations étudiantes qu’il y a un mouvement visant à rendre l’accès à l’éducation égalitaire, quel que soit le revenu des familles.

Connaissant plutôt bien la filière PluriPASS angevine, son fonctionnement ainsi que les étudiants, j’ai souhaité étudier la sélection sociale qu’il pouvait y avoir au sein de cette institution. Nous ne parlerons pas de la sélection sociale dans l’éducation, elle existe probablement et il y a des raisons très profondes à cela.

Objet et contexte

L’objet de mon étude ethnographique est donc les étudiants en première année de PluriPASS à Angers. Cela correspond à la première année de médecine (PACES). PluriPASS est une alternative au PACES ; si les étudiants échouent à entrer dans une des filières (Médecine, Pharmacie, Maïeutique, Odontologie, Kinésithérapie), ils sont réorientés dans une des quinze licences de l’Université d’Angers. Les enseignements qui y sont faits sont plus généraux qu’en PACES, puisqu’ils sont orientés vers les sciences de la vie, les sciences de l’ingénieur et les sciences humaines et sociales. Les places dans les différentes sont cependant limitées, ce qui rend leur accès très compliqué pour les étudiants.

Auparavant, PluriPASS était un choix par défaut sur Parcoursup pour moi ; si je ne trouvais rien à faire après ma terminale, je serai peut-être allé là-bas, où j’étais sûr d’être accepté. Je n’y suis finalement pas allé, ce qui est une bonne chose, car le domaine médical ne m’intéresse pas particulièrement. J’ai des amis qui sont en première année de médecine actuellement, même si je reste extérieur à ce milieu. Cela fait que j’ai un avis et un regard sur cette filière et sur son fonctionnement. Je trouve que le système de concours est malsain, tout comme la surcharge de travail qui est donné. De plus, je trouve étrange que beaucoup de cours ne se fassent pas en présentiel. Enfin, même s’il y a un tutorat organisant des colles le soir, il y a aussi des prépas privées donnant de sérieux avantages aux étudiants ; j’en reparlerai plus tard.

Cette année, les étudiants en « P1 » étaient 1124 à la rentrée. Leur but commun est de réussir les différents concours au cours de l’année afin de pouvoir rejoindre la filière souhaitée. Ils veulent avoir le meilleur classement possible pour maximiser leurs chances de se retrouver dans la filière souhaitée. Il y a donc une compétition entre eux, qui pourrait les amener à avoir des comportements différents de ceux qu’ils auraient pu avoir « normalement ». Le concours est composé uniquement de QCM dans la grande majorité, mais aussi de QROC (épreuves rédactionnelles). A l’issue de chaque session, les étudiants connaissent leur moyenne et connaissent aussi un ordre de grandeur de la centaine par rapport à leur classement.

En dehors des cours à la faculté, il existe d’autres institutions. Tout d’abord, il y a l’association 2ATP : Association Angevine du Tutorat PluriPASS. Pour 35€ à l’année (15€ pour les boursiers), les étudiants ont accès à plusieurs ressources : support de cours, plate-forme de QCM, parrainage, etc. Les deux activités principales restent tout de même les colles et les concours blancs. Les colles permettent aux étudiants de s’entraîner et de s’exercer plusieurs soirs par semaines. Les concours blancs (se déroulent le samedi), permettent aux étudiants de se mettre dans les conditions d’examen et de s’entraîner. À l’issue de ce concours blanc, ils obtiennent leur classement précis, ce qui est différent des vrais concours.

Il y a aussi une pré-rentrée d’une semaine pour une vingtaine d’euros, elle permet aux étudiants de préparer leur rentrée afin d’être dans les meilleures conditions.

Cependant, il existe aussi des « prépas » privées, permettant aux étudiants de se préparer encore mieux. Prenons l’exemple de Prépa Défi, qui est la plus importante à Angers. Les frais s’élèvent à 3000€/personne à l’année. Cette dernière propose plusieurs contenus : fascicules de cours complets (dans toutes les matières), colles en groupes de 25, concours blancs, fiches de révision, sujets et corrections d’anales, etc. Il y a aussi une pré-rentrée de deux semaines. Tout comme le tutorat, les étudiants ont un classement précis après les concours blancs. Il y aurait environ 300 étudiants. Prépa Défi se targue d’avoir le meilleur taux de réussite.

Pour en savoir davantage sur les étudiants, j’ai réalisé un petit sondage :

La majorité des étudiants avec qui j’ai pu discuter sont nés en 2001 et sortent d’un baccalauréat scientifique SVT. Trois quarts sont des filles. Tous souhaitent travailler dans le domaine médical, 75% en médecine. Pour l’instant, ils trouvent que les études sont difficiles voire très difficiles. Ils travaillent seuls la grande partie du temps, parfois en groupes. La majorité voudrait avoir un classement précis à l’issue des examens. 75% travaillent entre 9h et 13h par jour. Actuellement, ils seraient entre les places 1 et 500, selon eux et selon ce qu’ils ont voulu me dire (certains ne me l’ont pas communiqué). Pour l’instant, aucun ne souhaite se réorienter au semestre 2.

Ils sont tous inscrits au tutorat, mais ne vont pas forcément aux colles ou aux concours blancs. Pour eux, c’est globalement une aide bienvenue.

Pour ceux qui sont en prépa privée, ils participent à toutes les activités (concours blancs, colles). La prépa privée est pour eux une aide très importante.

La majorité d’entre eux considère la prépa privée comme une sélection sociale.

Problématique

Si PluriPASS est publique, fait partie de l’Université d’Angers et dont les coûts restent limités, y a-t-il une forme de sélection sociale au sein de la filière ? Comment cette sélection sociale s’organise-t-elle et comment se manifeste-t-elle ?

Théories, hypothèses

Selon Pierre Bourdieu, sociologue français du XXème siècle, il existe un volume de composition du capital composé de quatre types de capital.

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Le capital culturel désigne l’ensemble des biens culturels, des connaissances et des comportements sociaux d’un individu. Il existe sous trois formes. Il existe ensuite trois types de capital culturel :

  • Capital culturel objectivé : biens culturels possédés par un individu, qui sont « tangibles » : livres, DVD, peintures, etc. Ils permettent d’acquérir un savoir culturel mais nécessitent des compétences pour être compris et assimilés.
  • Capital culturel institutionnalisé : titres scolaires et diplômes d’un individu, décernés par des institutions. Pas forcément déterminant dans les connaissances des individus, il est cependant objectif et détermine le salaire ou le statut d’un individu au sein de la société.
  • Capital culturel incorporé : ensemble des comportements et manières de penser la culture. Il permet de consommer du capital culturel objectivé. Il est généralement transmis par la famille, l’école ou les pairs, via l’apprentissage.

La question que l’on peut se poser est « Quels sont les capitaux culturels transmis par la prépa privée ? », ainsi que la question de la différence avec ceux transmis par la faculté et/ou le tutorat.

On peut donc se dire que ces deux institutions peuvent transmettre des capitaux culturels objectivés, mais aussi incorporés.

Dans les capitaux culturels incorporés par le tutorat et la prépa privée, on retrouve les stages de pré-rentrée, pendant lesquels on aborde les méthodes et outils à utiliser pour réussir en médecine. La différence est que la prépa le fait sur deux ou trois semaines alors que le tutorat ne le fait que sur une semaine. Autre point, celui des colles, elles permettent un entraînement des étudiants, tout comme les concours blancs.

Pour les capitaux culturels objectivés, c’est le reste : supports de cours, annales, QCM, etc. ; qui sont fournis aux étudiants. Par exemple, un fascicule de prépa privé ressemble à ceci :

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On y retrouve l’année, l’unité d’enseignement, la matière, le professeur concerné ainsi que le nom de l’élève en bas à droite. Lorsqu’ils ont reçu ces documents, les encadrants ont explicitement demandé aux étudiants de ne pas laisser traîner ces fascicules, pour éviter de se les faire voler ; aucun étudiant ne sort ces documents dans l’enceinte de la faculté, c’est quelque chose qui paraît tabou.

Ensuite, il y a les annales. Ce sont des QCM des années précédentes, avec les réponses aux questions. Cela permet aux étudiants de s’entraîner aux concours en travaillant via ces séries de QCM.

Ces objets paraissent comme un avantage de taille à avoir, mais pourquoi sont-ils si indispensables ?

Pour cela, il faut revenir à la difficulté de PluriPASS. En interrogant les étudiants, la principale difficulté n’est pas liée aux cours, ni au fait de devoir mémoriser toutes les informations mais au temps. Effectivement, avec la quantité de cours à ingurgiter, ce qui leur manque le plus est le temps.

La question de la temporalité a justement été traitée par James Masy dans La temporalité, une disposition sociale et culturelle de construction de l’avenir : Le cas des « aspirants » aux classes préparatoires aux grandes écoles. Les sociologues Émile Durkheim et Norbert Elias ont conclu une origine sociale du temps. Selon eux, il y a plusieurs temporalités sociales (chose acceptée par les sciences sociales) et chacun à un rapport au temps différent en fonction de son expérience de la vie. Les étudiants des CPGE peuvent être comparés aux étudiants de PluriPASS : même si elles durent deux ans contre un an pour PluriPASS. Trois points différencient les CPGE des autres filières selon James Masy : la forte sélection à l’entrée, l’importante charge de travail pendant les années de « prépa » et les desseins qu’elles augurent. Ces trois points se réfèrent à une dimension temporelle extrêmement forte et peuvent se retrouver dans PluriPASS.

Selon lui, « la charge de travail très importante nécessite d’organiser son temps, de faire preuve d’une réelle discipline temporelle (agenda, révisions ritualisées, utilisation efficiente du temps, etc.) et de renoncer à une partie des activités de sociabilité. ». C’est ce qu’on retrouve chez les étudiants en médecine, qui eux ne doivent pas se décourager, d’ailleurs la tentation est forte puisqu’ils restent libres et peuvent suivre les cours à distance (ce qui leur fait gagner du temps mais peut aussi les empêcher de travailler, la tentation de ne rien faire étant forte). C’est pourquoi l’aspect de la temporalité est commune chez les deux filières : leurs étudiants n’ont pas assez de temps ; cependant, les études ne se ressemblent pas du tout, autant sur le fond que sur la forme.

Le temps est une question primordiale pour les étudiants, certains habitant loin de la faculté, ils ne s’y rendent pas forcément, pour éviter de « gâcher » ce temps précieux. Concernant le sommeil, les étudiants se donnent en moyenne huit heures par nuit de sommeil, étant intéressés par la santé, ils évitent de négliger le sommeil, car c’est une composante de la réussite.

Avec tous ces éléments de contexte, on pourrait se dire qu’effectivement, la prépa privée est plus complète et plus efficiente que le tutorat ou la faculté, ce qui donnerait aux étudiants un avantage temporel sur les autres : tout leur est donné, il ne leur reste plus qu’à travailler.

Observations

J’ai participé à un ED (« Enseignement Dirigé ») en chimie organique d’une durée de 1h20 : de 11h à 12h20 le mardi 3 décembre 2019 dans l’amphithéâtre Simone Veil (nom symbolique) de la faculté de médecine. Les horaires y sont respectés.

L’amphithéâtre n’était pas très plein, il y avait environ 60 personnes ; elles étaient réparties en petits groupes de 5 maximum éparpillés partout dans la salle. Elles étaient parfois seules. Il y avait une majorité de jeunes entre 17 et 19 ans, mais également quelques personnes plus âgées. Je n’ai pas pu prendre de photo pour des raisons de discrétion, mais voici une photographie du lieu où se déroulait cet événement :

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Durant toute la durée de cet « ED », j’étais situé au troisième rang et avait l’enseignant en face de moi.

Lors du cours, les étudiants répondent à des questions portant sur le cours de chimie organique sous forme de QCM (11 questions ont été posées, cela tourne généralement autour de la dizaine). Ils ne remplissent pas de feuille, mais peuvent répondre anonymement ou non (seul l’enseignant peut voir les réponses) via une plate-forme en ligne. Sur cette dernière y sont proposées les réponses aux questions données. Pour chaque question, les étudiants ont trois minutes environ pour réfléchir et répondre à la question. Sur la plate-forme, on peut voir en direct le pourcentage de personnes qui ont voté pour chaque réponse ; on ne voit pas par la suite les réponses correctes dessus, elle ne sert qu’à répertorier les réponses. Il n’y a donc aucun récapitulatif individuel à la fin de la séance et donc pas de note donnée. Pour chaque question, la réponse 5 est toujours « Aucune des propositions ci-dessus n’est correcte ».

J’ai pu regarder les votes se former en direct, sur certaines questions complexes, il pouvait s’écouler plusieurs dizaines de secondes avant que les premiers étudiants ne répondent.

On pourrait faire l’hypothèse que le fait de voir les pourcentages à chaque réponse en direct influencerait les étudiants dans leur choix : ils seraient ainsi plus enclins à voter pour les réponses qui ont récolté le plus de votes. C’est en tout cas le sentiment que j’ai pu avoir, ne connaissant presque rien en chimie organique. Voici ce à quoi ressemble la plate-forme, également disponible sur smartphones :

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Globalement, les réponses ayant obtenu la majorité sont correctes, mais pas toujours ; il arrive que les étudiants tombent dans des pièges (exemple : seulement 16% des étudiants avaient voté pour une réponse alors qu’au final elle était correcte).

À la fin de chaque question, l’enseignant donne la ou les bonnes réponses tout en donnant des explications. S’il justifie les réponses correctes, il apporte également des méthodes afin de répondre correctement aux questions en expliquant la démarche à suivre. Ses explications durent parfois plusieurs minutes ; les étudiants ne participent pas activement pendant le cours, ils peuvent cependant lui poser des questions à la fin de la séance. Il parle donc à l’assemblée dans un microphone, diffuse un diaporama avec les questions et les réponses (ainsi que les formules chimiques étudiées). Il se situe derrière un long bureau et devant un grand tableau, ainsi qu’un écran sur lequel est projeté le diaporama.

Lors des questions, les étudiants chuchotent entre eux, la plupart du temps pour se concerter à propos de la question, des votes mais ils abordent aussi parfois des sujets divers, externes au cours. Afin de prendre des notes et de réfléchir, ils utilisent soit un ordinateur, soit un smartphone, soit un cahier, mais aussi plusieurs outils à la fois. Ils peuvent également faire des choses ne concernant pas directement le cours : être sur leur téléphone, pour par exemple échanger des messages, etc.

Assister à ce cours permet de savoir dans quel état d’esprit sont les étudiants, comment ils se sentent. Par ailleurs, le contexte est un petit peu particulier puisque le concours se déroulera le jeudi et le vendredi 12 et 13 décembre. Cela fait que ces étudiants sont en ce moment en période de révision, période particulièrement difficile mentalement, à cause de la pression de l’enjeu et du concours.

Par rapport plus précisément aux aides apportées par la prépa, parlons des annales de QCM. Elles sont dans toutes les matières depuis 2011 et sont corrigées avec des explications. Elles permettent donc à ceux qui les possèdent de s’entraîner sans perdre de temps à les chercher où à chercher des QCM sur Internet, etc. Là où c’est intéressant, c’est que certaines questions sont présentes sur plusieurs années ; il est donc probable que certaines questions traitées les années précédentes le soient également cette année. Ce qui fait que ces étudiants peuvent travailler des questions qui tomberont le jour de l’examen.

Enfin, les cours et fascicules : ils permettent d’avoir les cours des professeurs sans avoir à assister/regarder leurs cours. Cela permet aux étudiants qui les possèdent de s’avancer dans les cours, de pouvoir mieux les comprendre et certains sont plus à l’aise avec la lecture qu’avec l’oral dans l’apprentissage. Cela représente donc une aide non-négligeable pour les étudiants.

Résultats et analyse

Si la majorité des étudiants considèrent la prépa privée comme une sélection sociale (ils sont donc d’accord avec le fait qu’il existe de la sélection sociale en PluriPASS), ils peuvent considérer cela à raison. En effet, tout le monde n’a pas les moyens de pouvoir fournir 3000€, les parents de certains étudiants ont d’ailleurs refusé ce prix. D’autres au contraire trouvent que cela reste raisonnable, puisque les études de médecine sont publiques, et que la prépa représente le seul coût réel, qui permettrait de réussir.

Concernant Prépa Défi, l’entreprise met en avant ses chiffres :

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Sur tous les étudiants inscrits à Prépa Défi, 66% passent en deuxième année, et 45% en médecine (filière la plus demandée). Effectivement, en comparant ceci avec la faculté ou même avec le Tutorat, les chiffres sont très bons.

Ce qu’apporte réellement cette institution, ce n’est pas des connaissances, des compétences, mais c’est du temps. Elle apporte du temps aux étudiants via du capital culturel objectivé et incorporé.

Cet apport permis par l’argent (inscription à la prépa) est un sujet plutôt tabou à la faculté et dans PluriPASS : les étudiants n’en parlent pas entre eux, personne ne sort des documents provenant de la prépa. Les raisons de ce tabou sont multiples : jalousie, mépris de la sélection sociale, etc. Le fait d’avoir cette aide met les étudiants à des niveaux différents.

Pour faire simple, il y a une forme de sélection sociale en première année de PluriPASS. Cependant, cette forme n’est pas extrême, puisqu’être inscrit en prépa n’est pas nécessaire pour réussir le concours. De plus, le prix peut rester abordable pour beaucoup ; seulement, certains parents d’étudiants refusent de payer pour quelque chose qui ne paraît pas nécessaire à la réussite.

Hugo Bernard

Étudiant en 2ème année de licence Information Communication à l'Université de Rennes 2

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